Citations

«Il faut toujours faire confiance aux scénaristes qui lisent.» Alessandro Baricco. Une certaine vision du monde.

vendredi 27 avril 2018

Lettre au maire de Gatineau qui lit des bandes dessinées

Monsieur le Maire,

Nous nous croisons régulièrement depuis plusieurs années dans le cadre de nos fonctions et je connais votre profond attachement à la bande dessinée. Et il n'y a pas que vous. J'ai pu constater depuis mon arrivée dans la région en 1999, que la Ville de Gatineau a toujours fortement appuyé les initiatives autour du neuvième art. L'UQO est d'ailleurs la seule université à offrir une formation en bande dessinée et ce, depuis près de 20 ans. Et notre Rendez-vous de la bande dessinée prépare actuellement sa quinzième édition pour septembre prochain. Et j'ai toujours une très grande fierté en voyant la place qu'occupe la bande dessinée dans le réseau des bibliothèques de la ville.

En lisant Le Droit aujourd'hui, j'ai beaucoup apprécié votre réponse à la question «un livre qui a changé votre vie», question qui vous a été posée dans le cadre du lancement du festival Gatineau, Ville lecture. Vous avez répondu «les bandes dessinées». Cela ne m'étonne pas, et j'aurais répondu la même chose que vous. Bien sûr, moi, c'est mon métier ;-)

Par contre, j'ai sursauté en prenant connaissance du début de votre phrase : «Au risque de faire baisser ma crédibilité, j'ai répondu les bandes dessinées.» Et vous avez poursuivi en mentionnant : «C'est parfois vu comme une espèce d'art mineur, alors que c'est très souvent la porte d'entrée vers la lecture.».

Je vous rassure. Votre crédibilité n'en sera aucunement affectée. À part pour quelques iconophobes pour qui la bande dessinée demeure un domaine étrange et inconnu. Mais c'est justement en cessant de s'excuser de lire des bandes dessinées que des gens en position de pouvoir comme vous peuvent contribuer à éduquer les gens.

La reconnaissance de la bande dessinée a beaucoup évolué depuis les cinquante dernières années. Le combat n'est toujours pas entièrement gagné, mais nous constatons que du côté des intellectuels, la question de la légitimité est de moins en moins problématique. Le nombre d'essais, de mémoires et de thèses qui lui sont consacrées en témoigne. C'est près d'une cinquantaine de conférences sur la bande dessinée qui seront présentées à Toronto en mai lors de la Conférence annuelle de la Société canadienne pour l'étude de la bande dessinée qui regroupe des professeurs et doctorants d'universités de toutes les provinces canadiennes. La réputée revue Voix et images du département d'études littéraires de l'UQAM vient de publier son dernier numéro entièrement consacré à la bande dessinée québécoise. Le très grand succès de l'exposition Tintin au Musée de la civilisation de Québec témoigne également de la vivacité et de la reconnaissance du neuvième art. Ce ne sont là que quelques exemples récents.

Je vous invite donc à continuer à clamer votre amour de la bande dessinée, mais avec plus d'affirmation. Nous ne devrions pas avoir à rougir d'aimer le neuvième art.

Au plaisir de discuter de nos dernières lectures de bandes dessinées lors de notre prochaine rencontre.

Amicalement,

Sylvain Lemay
Professeur titulaire en bande dessinée
ÉMI/UQO

Ajout :

J'ai écrit ce texte suite à ma lecture de l'article publié dans Le Droit qui rapportait les propos du maire. Évidemment, le journaliste a dû couper. Le cabinet de maire m'a fait parvenir la citation complète que je reproduis ici :

« Au risque de faire baisser ma crédibilité, j’ai répondu les bandes dessinées. C’est parfois vu comme un espèce d’art mineur alors que c’est la porte d’entrée à la lecture … de beaux outils pour les jeunes et aujourd’hui la bande dessinée c’est extrêmement riche, c’est devenu un roman graphique avec une entrée dans la réalité d’un auteur »

J'aime mon maire. 


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