Il me fait plaisir d'annoncer que le Prix Marc-Olivier Lavertu revient cette année à Iris et Zviane pour le premier tome de L'ostie d'chat publié aux éditions Delcourt.
Les lauréates se méritent une bourse de 250$ offerte par le collectif Plan B.
Elles seront également invitées à venir rencontrer les étudiants et étudiantes lors de la session d'hiver.
Merci à tous les étudiants et étudiantes qui ont participé à ce projet cette année.
Félicitations aux lauréates.
Citations
«Il faut toujours faire confiance aux scénaristes qui lisent.» Alessandro Baricco. Une certaine vision du monde.
mardi 6 novembre 2012
vendredi 17 août 2012
Merci Christiane
En attendant la rentrée, sans trop savoir de quoi elle aura
l’air (il semble que si les Cégeps retournent en classe, les universités déjà en grève reconduisent les mandats de grève),
je fais le ménage de mon bureau.
J’ai trouvé 2 feuilles de papier coincées entre 2 dossiers.
Ce sont des notes que j’avais prises lors de la Journée de la valorisation de
l’enseignement à l’UQO en 2010. Des notes de la conférence de Christiane Melançon, ma collègue en traduction et rédaction qui est décédée l’année
dernière à l’âge de 52 ans.
C’est idiot comment un vieux papier froissé peut remuer des
souvenirs et faire surgir toute une gamme d’émotion.
Lorsque j’ai été engagé en 1999, les professeurs en arts et
en lettres se côtoyaient à l’intérieur du département des sciences de
l’éducation. Lors de ces premières
années, nous avons tenté de former un département conjoint entre les arts et
les lettres. Ce qui n’a pu se faire, notamment en raison des laboratoires et ateliers
qui se retrouvaient dans les deux pavillons. Cela aurait été trop coûteux de
déménager l’un ou l’autre des secteurs. Les Lettres ont créé leur département
en 2002 et nous avons fondé l’ÉMI en 2003.
J’ai souvent côtoyé Christiane par la suite. Elle avait un
projet de création d’un programme en littérature et m’en parlait parfois
sachant que mes études étaient en études littéraires. Je ne sais pas où en est
ce projet aujourd’hui.
Notre amour de la littérature et du livre nous a amenés à
nous croiser à plusieurs reprise au Salon du livre de l’Outaouais, au Prix
littéraire Jacques-Poirier et sur différents comités et/ou réunions culturelles
et/ou universitaires.
Nous étions également directeur et directrice de nos
départements respectifs à une certaine époque.
Puis, à l’hiver 2010, elle avait accepté de collaborer avec
moi (et avec plusieurs autres partenaires)
pour l’organisation d’une conférence sur la littérature haïtienne afin de
ramasser des fonds suite au tremblement de terre de janvier 2010. En mars de
cette année, Stanley Péan était venu à l’université pour présenter une fort
intéressante conférence.
J’étais au Viet Nam en juin 2011 lorsque j’ai appris son
décès et je n’ai pas pu assister aux funérailles. Je n’ai donc pu lui dire au
revoir. Mais je pense souvent à elle. Je suis heureux d’avoir retrouvé ces
notes. Je les partage ici, en vrac.
Merci Christiane.
Les trucs du métier et les erreurs à éviter
Elle avait débuté sa présentation avec une citation de
Pierre Bourgault : «Un bon professeur transmet la passion et le doute.»
Ce qu’un professeur doit se dire : Je ne sais pas tout,
mais je connais ma matière et surtout, j’ai appris à apprendre.
Se rappeler ce que c’est de ne pas savoir.
Déconstruire la connaissance et la reconstruire pour
l’étudiant et avec l’étudiant et non pas seulement devant
l’étudiant.
Les erreurs à éviter.
Le manque de préparation, le doute mal placé; la complexité
mal à propos.
La distance mal gérée. Trop loin des étudiants :
arrogance et mépris. Trop près des étudiants : l’erreur du professeur trop
copain.
La négociation.
La réduction des exigences.
Le dénigrement des étudiants, des collègues, de
l’université.
Les ambiguïtés dans le discours et le comportement.
L’obstination.
Je me souviens qu’il est ressorti de cette conférence, un grand
respect de Christiane envers ses étudiants.
Je complète avec des notes tirées de l’autre feuille qui
accompagnait celle de Christiane. Autre erreur à éviter : bien prendre en
note les sources et ne pas laisser des feuilles flotter en dehors des dossiers.
Je ne parviens pas à me rappeler de l’auteur de la conférence d’où sont tirées
ces notes. Mais je les conserve, car je les trouve importantes.
L’attitude du professeur : fierté de ce que l’on sait
et humilité de ce que l’on ignore dans le respect de l’autre.
Les étudiants sont ignorants : je sais des choses qu’ils
ne savent pas. L’ignorance est un manque de connaissance, pas une maladie. Nous
sommes toujours l’ignorant de quelqu’un.
Les étudiants sont savants : ils savent des choses que
j’ignore.
Réponse : l’amateur a réponse a tout, tout de suite. Le
professionnel commence pas «ça dépend» et va poser une série de questions.
Maintenant que ces notes sont sur ce blogue, je ne peux plus
les perdre.
Et j’ai bien hâte de retrouver mes étudiants afin de partager tout cela. Que ce soit en
classe ou dans la rue.
Et encore merci Christiane.
jeudi 9 août 2012
M. Charest et le dictionnaire
On peut-tu /sic/ s’entendre sur une chose: c’est pas
une grève. Ça jamais été une grève. Non, c’est pas une grève. C’est parce qu’il
faut s’entendre, faut employer les bons mots. Nous ne sommes pas des employeurs
des étudiants. Les étudiants ne sont pas nos employés. C’est un boycott. Alors,
employons les bons mots, là. C’est un boycott. (Cité par Josée Legault sur son blogue.)
Josée Legault démontre bien que le dictionnaire n’est pas d’accord avec monsieur Charest et qu’il reconnaît le terme «grève étudiante». Mais Charest n’aime pas les définitions du dictionnaire et préfère
celles du Code du travail. Ce que l’on observe également parmi certains
commentaires au billet de Josée Legault. Parce que le terme «grève» y est
défini d’une façon qui lui convient :
«grève»: la cessation concertée de travail par un groupe de salariés.
Les étudiants ne sont pas des salariés, ils ne cessent pas de «travailler»
donc ils ne font pas la grève. CQFD.
Pourtant.
Nulle part dans le Code du travail n’est défini le terme «étudiant». Le
Code du travail régit les employeurs et les employés. Or, Jean Charest lui-même
le dit : «Nous ne sommes pas des employeurs des étudiants. Les
étudiants ne sont pas nos employés.» Alors pourquoi utiliser
les définitions du Code du travail ? Cette définition n’a de valeur qu’à l’intérieur
du Code du travail.
Ce qui encadre les associations et leur droit de
grève se retrouve plutôt dans la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants. Or celle-ci indique
que :
« 28. L'établissement d'enseignement doit reconnaître
l'association ou le regroupement d'associations d'élèves ou d'étudiants
accrédité comme le représentant, selon le cas, de tous les élèves ou étudiants
ou de toutes les associations d'élèves ou d'étudiants d'un groupe visé à
l'article 2.1 ou de l'établissement. »
Or les étudiants et étudiantes, membres de l’AGE-UQO ont voté une Grève
générale illimitée. L’Association représente tous les étudiants et étudiantes.
Ce n’est pas un boycott, c’est une grève. Et je la respecterai. Quelles qu’en
soient les conséquences.
Pas parce que je veux être payé à ne rien faire, L’enseignement ne
représente que 25% de ma tâche annuelle.
Les 3 autres composantes de ma tâche (recherche, administration et
services à la collectivité) peuvent très bien m’occuper cet automne.
Non, je respecterai la décision des étudiants et étudiantes parce que je
crois au mouvement étudiant.
Et parce que je veux être intègre avec moi-même.
Aux étudiants et étudiantes de décider.
lundi 28 mai 2012
Festival de bande dessinée de Québec
Voici le billet que je voulais écrire à mon retour du vingt-cinquième
Festival de la bande dessinée de Québec et que je n’ai pas eu le temps d’écrire
pour cause d’injonctionnite aigüe.
Comme toujours, ce festival fut très enrichissant. Beaucoup
de livres, beaucoup de bandes dessinées, mais surtout, beaucoup de rencontres
agréables et stimulantes. Le milieu de la bande dessinée québécoise est rempli de gens intéressants et sympathiques. Merci et félicitations à toute l’équipe d’organisateurs. J’ai
bien hâte au vingt-sixième.
Mais j’étais un peu fatigué à mon retour. Il faut dire que
je venais de passer 32 heures en 3 jours dans un kiosque à faire la promotion du programme
en bande dessinée de l’université. Merci à Miguel Bouchard et Estelle Bachelard
de m’avoir parfois remplacé afin que je puisse me sustenter.
Je suis revenu à minuit le dimanche soir, à temps pour
débuter notre première semaine d’injonction à l’université.
Et on remet cela cette fin de semaine. Ce vendredi débute le premier Festival de bande dessinée de Montréal.
Mais, à mon retour de Québec en avril dernier, ma voiture de location m’a fait un petit
clin d’œil. J'avais mis le compteur à 0 en quittant Gatineau le jeudi matin. Cette photo a été prise dans mon stationnement à la maison le lundi matin. Après tout, la bande dessinée, c’est le neuvième art !
samedi 26 mai 2012
Je prête serment !
«Je ne discute pas avec ceux qui trahissent un serment. Vous êtes un
foncrionnaire du mels, votre attitude est innaceptable.» [sic]
Ce message m’interpelle, évidemment. J’aimerais lui signaler que les
professeurs d’université n’ont pas à prêter serment. Du moins, moi je ne l’ai
jamais fait. Où plutôt, oui. Je prête serment au début de chaque année
universitaire. Je prête serment à mes étudiantes et à mes étudiants. Je leur jure
de partager mes connaissances, d’ouvrir leurs horizons et, surtout, de
développer leur esprit critique.
En ce sens, la session n’a pas été suspendue. C’est seulement la salle de classe qui a été agrandie et qui
occupe maintenant tout le territoire de la province.
Quant à la deuxième partie de la citation de Francis
Proulx, non, je ne suis pas un fonctionnaire du MELS (Ministère de l’Éducation,
des loisirs et du sport).
Voici une citation tirée du texte de Christian Rioux
dans Le Devoir du 25 mai 2012. Elle
est extraite du livre de Simon Leys, Le studio de l’inutilité :
«En Angleterre, un fringant ministre de l’Éducation qui
était venu rencontrer le corps professoral d’un établissement plus que
centenaire commença son discours en saluant les employés de l’université. Un professeur l’interrompt
aussitôt : «Excusez-moi, Monsieur le ministre, nous ne sommes pas les
employés de l’université, nous sommes l’université«!
Et pour terminer aujourd’hui sur ma vision de
l’université, vision que ne date pas du début de la grève, une citation avec
laquelle j’avais inauguré mon blogue en janvier 2010. Elle est tirée du livre
d’Aline Giroux, Le pacte faustien de l’université :
«À
ceux qui pensent qu’avec une discipline plus stricte les jeunes pourraient
acquérir plus de connaissances, Schleiemacher répond que le but des études
universitaires n’est pas d’acquérir une masse de connaissances, mais bien
d’«éveiller chez les jeunes […] une vie toute nouvelle, un esprit supérieur et
scientifique. Or cet éveil suppose, comme condition nécessaire, un climat de
pleine liberté d’esprit.»
On peut également lire «Le devoir de philosophie»
dans Le Devoir d’aujourd’hui portant
sur John Rawls et écrit par le professeur de philosophie de l’Université de
Montréal, Michel Seymour.
Bonne fin de session à tous mes étudiantes et
étudiants.
mardi 22 mai 2012
Debout !
«Le rôle des étudiants
consiste à rechercher la vérité révélée en faisant preuve de dévouement et d’ardeur,
mais surtout de soumission. «Nous savons que cela vaut la peine de nous mettre à
genoux. À genoux, nous sommes plus forts que debout. À genoux, nous sentons que
nous dominons le monde. Quoi de plus désirable pour des jeunes, de plus noble
pour des universitaires.»
Cette citation provient
du Carabin du 6 décembre 1941. Elle
est citée dans l’ouvrage de Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie, page 24.
Aujourd’hui, le
mouvement étudiant refuse de se mettre à genoux.
En 1958, ils se sont
aussi mis debout. Trois leaders étudiants (deux gars, une fille) sont restés
debout à chaque jour pour obtenir une rencontre avec Duplessis, rencontre qui n’eut
jamais lieu.
À la fin des années
1960, les étudiants se sont levés. Si vous trouvez que le mouvement est violent
aujourd’hui, voici un texte publié durant ces années : «Étudiants, vous êtes
des imbéciles impuissants, cela vous le resterez tant que vous n’aurez pas :
cassé la gueule à vos profs; craché sur la famille; foutu le feu au cégep»
(Anonyme. Cité par Jean-Philippe Warren, Une
douce anarchie, page 209.)
Les étudiants se sont
tenus debout en 1983 et ils ont réussi à faire adopter une loi sur
la reconnaissance des associations étudiantes.
J’étais debout en 1990 en tant qu’étudiant. Je l’étais en 2005 en tant que
professeur. Et je le suis encore aujourd’hui.
Je crois au mouvement étudiant et me battrai pour défendre leurs droits. Mon
carré rouge signifiait, au début, que j’étais contre la hausse des frais de
scolarité. Aujourd’hui, il dit que je reconnais la légitimité du mouvement et
des associations étudiantes. C’est une force nécessaire.
Quand je suis arrivé à l’Uqo en tant que professeur en 1999, les étudiants
en arts n’avaient pas d’association étudiante. J’ai travaillé avec des
étudiants afin de constituer cette association. Ce fut long et pénible. C’est
complexe. Et il a fallu nous y reprendre à plusieurs fois. L’ironie, c’est que
quand cette association (la RÉÉÉMI) a été reconnue, j’étais rendu directeur de
l’École. Et leur première action aura été de se mobiliser pour renverser une
décision que j’avais prise. Nous nous sommes assis et nous avons trouvé un
compromis.
Je ne désobéis pas pour la question de la hausse des frais de scolarité. Je
suis toujours contre, bien sûr. J’ai des arguments à ce sujet et j’écoute les
arguments contraires. Certains sont intéressants et nous devons en prendre
compte. Mais quand je fais la synthèse de tout cela, je demeure convaincu que
la meilleure chose pour notre système d’éducation demeure la gratuite scolaire.
Mais étouffer le mouvement étudiant, cela je ne peux le concevoir.
Et je resterai debout !
dimanche 20 mai 2012
Désobéissance civile
De
retour après 2 jours au Salon du livre de Notre-Dame-du-Laus sans avoir accès à
internet, je prends connaissance de la loi 78. Incrédule, je suis retourné lire
l’article 5 de ma convention collective
En voici
quelques phrases:
«5.01
L’autonomie universitaire par rapport aux gouvernements, aux corporations et
aux autres institutions ou groupe d’intérêt est essentielle à l’accomplissement
du rôle de l’Université.
5.03
Tout professeur est libre d'exprimer ses opinions personnelles à
l'intérieur ou à l'extérieur de son lieu de travail, sans préjudice aucun aux
droits et obligations rattachés à son statut et dans le respect de ses
obligations professionnelles envers l'Université.
5.04 La liberté académique est le droit
qui garantit l’accomplissement des fonctions professorales.
Elle
comprend : (…) C) Le droit d’expression, incluant la critique de la société,
des institutions, des doctrines, dogmes et opinions, notamment des règles et
politiques universitaires, scientifiques ou gouvernementales.
La liberté académique est un droit fondamental des
professeurs d’université parce qu’elle est nécessaire à la réalisation des
finalités de l’institution universitaire.»
Je
portais mon carré rouge en mars.
Je
le porte en mai.
Je
le porterai en août.
Désobéissance
civile
vendredi 11 mai 2012
Prix Marc-Olivier Lavertu 2012
Les finalistes du Prix Marc-Olivier Lavertu 2012 (pour un album publié en 2011) décerné à un auteur québécois sont les suivants :
Jimmy Beaulieu, Comédie sentimentale pornographique, Delcourt.
Iris/Zviane, L'ostie d'chat, Tome 1, Delcourt.
Christian Quesnel, Cœurs d'argile, Premières lignes.
Ces finalistes ont été choisis par un comité d'étudiants et d'étudiantes en bande dessinée. Le vote se fera à l'automne et tous les étudiants et étudiantes inscrits en bande dessinée ont le droit de vote.
Une bourse de 250$ est offerte par le Plan B.
Le lauréat, ou les lauréates, sera invité à venir rencontrer les étudiants et les étudiantes à l'automne.
Rappelons que ce prix a déjà été remporté par :
Émilie Villeneuve et Julie Rocheleau pour La fille invisible, Glénat (2011);
Michel Rabagliati pour Paul à Québec, La Pastèque (2010);
Louis Rémillard pour Voyage en zone d'exploitation, Les 400 coups (2009);
Delaf et Dubuc pour Sale temps pour les moches, Les Nombrils, Tome 2, Dupuis (2008);
Leif Tande pour Wiliam, Mécanique générale (2007).
Bonne chance à tous.
Jimmy Beaulieu, Comédie sentimentale pornographique, Delcourt.
Iris/Zviane, L'ostie d'chat, Tome 1, Delcourt.
Christian Quesnel, Cœurs d'argile, Premières lignes.
Ces finalistes ont été choisis par un comité d'étudiants et d'étudiantes en bande dessinée. Le vote se fera à l'automne et tous les étudiants et étudiantes inscrits en bande dessinée ont le droit de vote.
Une bourse de 250$ est offerte par le Plan B.
Le lauréat, ou les lauréates, sera invité à venir rencontrer les étudiants et les étudiantes à l'automne.
Rappelons que ce prix a déjà été remporté par :
Émilie Villeneuve et Julie Rocheleau pour La fille invisible, Glénat (2011);
Michel Rabagliati pour Paul à Québec, La Pastèque (2010);
Louis Rémillard pour Voyage en zone d'exploitation, Les 400 coups (2009);
Delaf et Dubuc pour Sale temps pour les moches, Les Nombrils, Tome 2, Dupuis (2008);
Leif Tande pour Wiliam, Mécanique générale (2007).
Bonne chance à tous.
mardi 8 mai 2012
L’homme sans cervelle
J’ai
toujours admiré Winston Churchill pour son sens de la répartie. Mais cette
phrase, j’ai toujours su que je n’allais jamais y adhérer.
Je
vais avoir 43 ans dans quelques jours et je constate que les idéaux et les
valeurs que je défendais à 20 ans sont les mêmes qui m’habitent aujourd’hui.
Après avoir énormément lu et m’être beaucoup informé ces dernières vingt
années, force m’est de constater que les discours des lucides et des tenants du
néolibéralisme n’ont jamais réussi à me convaincre de retourner ma veste.
Au
contraire, je suis de plus en plus convaincu des iniquités de la société et du
devoir de résistance qui en découle.
Si
mon désir de justice social, mon envie de défendre les plus démunis, mon besoin
de vouloir parler pour les sans-voix veulent dire que je suis sans cervelle, eh
bien, je le revendique avec plaisir. À défaut de cervelle, j’ai toujours mon
cœur de 20 ans.
Mais
avec le cœur, vient une voix.
Se taire n’est pas une
option
Maryse
Gaudreault, la député de Hull au provincial, l’a dit : «Ce groupe de
professeurs [Les profs contre la hausse] ne cherche qu’à politiser le débat et
ce n’est pas leur rôle. Ces professeurs sont des employés de l’État, ils n’ont
pas à se mêler de tout ça» (Le Droit, 19 avril 2012, page 6).
Un professeur,
partisan de la hausse, me l’a répété : «Nous avons le devoir de rester
neutres».
Un autre
collègue, chargé de cours dans un autre département, me l’a crié dans les
corridors de l’Université «C’est de votre faute si les étudiants sont en
grève! Par vos actions, vous êtes
responsables de tout cela». J’ai essayé de discuter, mais face à son ton
agressif, j’ai abandonné la conversation. En le quittant, à mon «Bonne
journée», il a répliqué : «Bonne journée ! Et enlevez immédiatement votre
carré rouge!»
Rester
neutre ? Se taire ? Je ne crois pas. En tant qu’intellectuels et professeurs
d’université, il est de notre devoir, au contraire, d’intervenir dans l’espace
public. Je le fais régulièrement en ce qui concerne la bande dessinée, mon
champ de recherche, en collaborant avec les journaux, la radio et la
télévision.
Mais
nous sommes également des citoyens et, de par notre position et notre capacité
à réfléchir et à analyser, nous nous devons d’apporter notre voix aux débats de
société. Comme l’a fait le sociologue Pierre Bourdieu lors des grèves en France
en 1995.
Et
lorsque ce débat concerne l’université et, surtout, son accessibilité et sa
gérance, nous ne pouvons observer tout cela en restant cois. Nous sommes les
premiers acteurs dans ce dossier et, à ce titre, nous avons le devoir, au
contraire, de faire entendre nos voix.
Se
taire ? Jamais !
jeudi 3 mai 2012
Un scénariste déprimé
Or, en regardant ce que l’on appelle «le conflit étudiant»,
il me semble de plus en plus deviner une certaine fin et cela m’inquiète. Il
semble bien qu’il y ait un scénariste derrière la stratégie du Parti Libéral et
il semble avoir mis la table afin de préparer des élections.
Ce parti va se dire incapable de résoudre le conflit à cause
de l’intransigeance des étudiants et va s’en remettre à l’électorat afin que ce
soit les électeurs qui décident du bien fondé ou du rejet de la hausse des
frais de scolarité.
Or, il pourrait bien remporter les prochaines élections. On
parlera moins de corruption et des dossiers qui ont entaché la crédibilité du
Parti Libéral ces dernières années et Jean Charest se présentera comme celui
ayant tenu tête aux têtes fortes et aux têtes folles estudiantines.
Et une grande partie de la population va le suivre sur ce
sentier. Surtout ceux qui ne s’abreuvent qu’à certains médias traditionnels. Surtout
qu’il ya en ce moment des nouvelles beaucoup plus importantes, tel l’embauche
d’un nouveau directeur général pour le Canadien de Montréal. Un gouvernement libéral réélu aura alors beau jeu de dire qu'il a toujours eu raison dans ce conflit.
Quant aux étudiants, bien qu’ils soient nombreux, ils ne
pèseront pas assez lourds dans la balance. Et tous ceux derrière le mouvement ?
Les profs contre la hausse ? Les artistes contre la hausse ? Les intellectuels
contre la hausse ? Les écrivains contre la hausse ? Une bande de barbus
gauchistes qui n’auraient pas, de toute façon, voté pour le Parti Libéral.
J’ironise. Alors, la stratégie me semble de plus en plus claire. Il y a vraiment
un scénariste derrière tout cela.
Tout cela me déprime ce soir. Le goût amer d’avoir
l’impression de faire le jeu du Parti Libéral. J’espère sincèrement me tromper.
En attendant, pour me changer les idées, je vais aller écouter un peu de
musique. Du Renaud, tiens. «Hexagone». Ça parle d’un certain mois de mai.
«Ils se souviennent au mois de
mai
D’un sang qui coula rouge et noir
D’une révolution manquée
Qui faillit renverser l’histoire
Je me souviens surtout de ces
moutons
Effrayés par la liberté
S’en allant voter par millions
Pour l’ordre et la sécurité»
Rien à faire. Toujours déprimé.
jeudi 26 avril 2012
Les erreurs de scénario
Comme
la Cour supérieure (district de Hull) nous oblige à donner nos cours à
distance, je me prête à l’exercice. Voici donc mon cours pour cette semaine.
Comme
nous avons étudié la construction du scénario dans la première partie du cours,
nous allons maintenant examiner un texte de Michel Chion publié dans son livre Écrire un scénario et intitulé : «Les
fautes de scénario (pour mieux les commettre)».
Pour
illustrer mon propos, je vais utiliser le scénario «Des négociations pas de
classe» écrit par l’étudiante Line Beauchamp sur une idée originale du Parti
libéral du Québec.
Ce texte comprend 16 points. Nous allons les examiner un
par un. Cette matière ne sera pas à l’examen lors du retour en classe.
1. À quoi ça se voit? Comment
le lecteur comprend-t-il les motivations des personnages ? Ici, c’est très
réussi. Le lecteur comprend aisément les motivations du personnage de la
ministre par ses gestes. Même si cela peut paraître un peu gros, nul n’est dupe
du fait que le personnage de la ministre ne veut pas et n’a jamais voulu
négocier.
2. Bateau (sentiment d’avoir
été mené en). Ici la faute est grossière. Elle peut aussi se traduire par la
phrase suivante : il ne faut pas prendre ses (é)lecteurs pour des valises.
3. Bout-à-bout. «Si le film
apparaît comme une collection de scènes sans structure et sans progression,
sans lien fort de nature logique ou organique, on a le sentiment d’un
bout-à-bout. Un scénario en bout-à-bout contreviendrait donc à deux lois au
moins du scénario classique : loi d’unité, loi de progression continue.» Après
12 semaines, on ne sent pas de progression dans les actions du gouvernement. On
revient à la case départ. La progression continue, par contre, se sent bien du côté
des «méchants étudiants».
4. Coïncidence. Est-ce une
coïncidence que des rumeurs d'élections commencent à se faire entendre? Cela pourrait être
considéré comme une faute dans l’écriture du scénario.
5. Dénouement (faiblesse de).
Malheureusement, la scénariste semble tout faire ici pour éviter qu’il y ait un
quelconque dénouement. À retravailler.
6. Déviation. «La déviation, au
cours du récit, par rapport à l’idée de départ (…) peut être un défaut. Elle
est, la plupart du temps, le résultat involontaire d’une accumulation de
détails qui font perdre de vue l’enjeu, le thème principal, et qui peuvent
faire prendre à ceux-ci un sens inverse et nouveau.» Effectivement, le thème
principal, la hausse des frais de scolarité, semble avoir été perdu en cours de
route par le personnage de la ministre. Si cela est involontaire, Il faudrait
quand même parvenir à dévier dans l’autre sens.
7. Explicatif (dialogue). Cette
faute s’observe lorsque l'on sent que c’est le
scénariste et non pas le personnage qui parle. Tous les dialogues du scénario
seraient en ce sens à revoir.
8. Faux implants. Le faux
implant est l’établissement d’une chose non utilisée. Il serait bien que, si la
scénariste implante une table de négociation dans son scénario, qu’elle
l’utilise par la suite au lieu de créer un faux suspense.
9. Invraisemblance. «C’est un
vieux débat que celui sur le vrai et le vraisemblable, et Boileau le résumait
en ces termes : «Jamais au
spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas
vraisemblable.» J’ai beau observer le débat depuis les débuts, et savoir
que tout cela est vrai, il n’empêche que l’on ne peut s’empêcher de croire que
tout cela est invraisemblable. Voici la preuve que la réalité ne fait pas
toujours un bon scénario.
10.
Jeu de c... (ou intrigue idiote). «Un Idiot plot est une histoire où les personnages doivent se conduire
comme des imbéciles pour permettre à l’intrigue de se dérouler.» Je ne
m’étendrai pas sur ce point.
11.
Minceur de l’histoire. Si l’histoire est trop mince, le scénariste se
sent obligé de remplir son scénario avec des scènes qui ralentissent l’action.
Or, ce que le lecteur veut, c’est que l’histoire progresse. Il y a trop de
scènes statiques dans ce scénario.
12.
Mollesse, piétinement. «Il y a impression de mollesse, de piétinement
si tout est trop statique ; s’il n’y a pas de progression (…)». Ce point a déjà été abordé.
13.
Personnages (défauts dans l’utilisation des). Michel Chion définit ici
8 cas de défauts dans l’utilisation des personnages. Le premier nous semble
éloquent dans le cas qui nous concerne ici : «Le personnage-marionnette,
ou porte-voix, transmettant un message ou des mots d’auteurs, plutôt que doué
d’une vie propre.» Il faudrait retravailler le personnage de la ministre. Une
autre faute souvent commise, mais qui pourrait être habilement utilisée ici est
la «conversion subite : le personnage change d’attitude, de croyance, de
comportement, sans que cela ait été préparé. » Dans l’état actuel du scénario,
cette faute serait la bienvenue.
14.
Qu’est-ce qui les empêche de…Je ne citerai que Michel Chion :
«Souvent aussi, on a l’impression que le malentendu entre les héros, qui
fournit à l’intrigue son ressort principal, pourrait être facilement levé par
un petit effort de sincérité.» Un simple petit effort.
15.
Téléphoné (effet). Honnêtement, l’annulation des négociations semble
beaucoup trop téléphonée. Le lecteur s’y attend trop, dès les débuts de
l’ouverture des négociations. Le téléphone peut aussi servir à rétablir les
ponts entre les personnages.
16.
Trou. Là où on semble s’enfoncer à la lecture du scénario.
Fin du cours pour cette semaine.
Toutes les citations sont tirées du livre de Michel Chion, Écrire un scénario.
Je m'en retourne vécrire
André et moi devrions nous remettre bientôt au travail pour
notre second livre. Si le premier utilisait la Crise d’octobre comme toile de
fond, le deuxième tournera un peu autour du Sommet de Montebello de 2007. Un
peu seulement parce qu’un des thèmes développés dans ce récit, c’est le refus
de l’implication sociale. La question est de savoir si le personnage va réussir
à se rendre ou non à Montebello pour manifester.
Quant au troisième, qui devait originalement se dérouler au
Chili durant la grève étudiante de 2011, il devrait connaître certaines
modifications au niveau du scénario. L’histoire risque fort d’être déplacée au
Québec en avril 2012. Je n’en sais encore trop rien. Tout cela
est trop émotif pour l’instant pour avoir un certain recul avec tout ce qui se
passe.
Pour le moment, je continue ma recherche sur le terrain. Comme
le disait le narrateur dans Salut
Galarneau de Jacques Godbout : «…ou tu vis, ou tu écris. Moi je veux vécrire…». Je m’en retourne vécrire.
mercredi 25 avril 2012
Je sais aussi être égoïste
Je crains sincèrement
les impacts d’une hausse des frais de scolarité sur le programme en bande
dessinée que j’ai aidé, avec d’autres, à mettre au monde en 1999. Je suis très
fier de ce que nous avons réalisé à l’ÉMI avec ce programme. Il y a 10 jours
(une éternité me semble-t-il) j’étais au Festival de bande dessinée de Québec.
J’en ai retiré une très grande fierté de voir le nombre très élevé de diplômés
et diplômées de l’ÉMI qui ont fait leur place ces dernières années dans le
milieu. Cela justifie aisément, selon moi, le rôle et la qualité de notre
formation.
Mais qu’arrivera-t-il
après une hausse aussi drastique des frais de scolarité sur notre capacité à
attirer des étudiants et des étudiantes ? Le calcul est simple. Plus les frais
sont élevés, plus l’endettement étudiant sera grand. Or, les futurs candidats
risquent de choisir des formations universitaires qui vont leur garantir des
revenus plus importants une fois leurs études complétées. Il me semble que des
formations en bande dessinée, en arts visuels, en philosophie, en études
littéraires etc. vont écoper suite à cette décision gouvernementale.
De plus, comme nous
sommes la seule université à offrir le programme en bande dessinée, la majorité
de nos étudiants et étudiantes proviennent des quatre coins de la province.
Souvent, ils doivent s’exiler pour suivre leur formation. Ils ne peuvent
habiter chez leurs parents et les frais encourus sont plus grands. C’est ce que
j’ai entendu à plusieurs reprises à Québec.
Tout cela j’en ai
toujours été convaincu. Et j’en ai eu la confirmation dernièrement. J’ai
rencontré un de mes anciens étudiants durant la grève, Marc Michaud. Marc est
originaire de l’Alberta et a suivi la première année du programme il y a de
cela plusieurs années. Mais il a abandonnée après cette première année. C’était
un étudiant plein de potentiel. Ceux qui suivent le programme depuis ses débuts
se remémoreront peut-être le fanzine Nom
d’un chien qu’il avait créé avec son frère Daniel et Andrée-Julie Tardif.
Ce fanzine avait retenu l’attention de différents professionnels du milieu de
par ses qualités graphiques et narratives, surtout qu’il était l’œuvre
d’étudiants de première année.
Mais Marc a abandonné
ses études. Je continue de le voir à l’occasion. Ne pouvant être son
professeur, je lui sers de «coach» dans la mesure de mes moyens. J’étais chez
lui il y a 2 semaines pour lui remettre une lettre de recommandation pour une
demande de bourse. Nous avons discuté de la grève et des frais de scolarité.
Probablement que j’avais mon carré rouge sur moi. Il m’a avoué que sa décision
d’interrompre ses études émanait de la trop grosse charge financière qui lui
était demandée. Marc devait, à l’époque, payer les frais de scolarité
albertains. Et qu’à près de 4 000 dollars par année, cela représentait un coût
trop grand surtout en regard des possibilités d’emplois à la sortie de
l’université. Aujourd’hui, maintenant qu’il habite au Québec, il pourrait
revenir à l’université. Mais avec une famille, cela complique les choses. Et la
hausse prévue va nous rapprocher dangereusement des frais demandés en Alberta.
Marc continue de faire
de la bande dessinée. Ça ne prend pas obligatoirement un diplôme pour en faire.
Mais j’ose espérer que la hausse des frais de scolarité ne nous fera pas perdre
trop d’étudiants et d’étudiantes comme Marc qui désirent faire de la bande
dessinée et suivre une formation universitaire de qualité.
Je continuerai à me
battre parce que l’éducation c’est un droit et non un privilège. Je continuerai
à me battre pour moi. Pour mes étudiants et étudiantes en bande dessinée. Pour
tous les étudiants et étudiantes.
mardi 24 avril 2012
L'injonction est prolongée jusqu'à vendredi
L'injonction est donc maintenue. Mais de façon différente. Exit les conditions normales d'enseignement. Maintenant :
«En conformité avec l’ordonnance rendue aujourd’hui par la Cour supérieure, la direction de l’UQO informe les membres de sa communauté universitaire de Gatineau qu’au lieu d’offrir ses cours de façon normale, elle prendra les mesures raisonnables requises afin de permettre à ses étudiants de poursuivre leur apprentissage par tout autre moyen que les cours en présence, dont, notamment, par voie électronique, et ce, dans le respect de la liberté académique, de la finalité des programmes et en tenant compte des contraintes logistiques.»
Nous devons donc donner nos cours à distance. J'ai de la difficulté à concevoir ce que je vais faire avec les 2 cours que j'enseigne : «Synthèse en bande dessinée» et «Scénarisation du récit en images». Ce sont des cours-ateliers. À cette étape-ci de la session, ce sont des rencontres individuelles que je devrais faire avec mes étudiants afin de suivre l'évolution de leurs travaux. Je leur demande d'envoyer des croquis par courriel ? C'est parfois déjà assez difficile à lire sur papier. Je leur demande de numériser leurs planches et de me les envoyer ? Pour cela les étudiants devront se rendre à l'université pour utiliser le grand scanner du laboratoire informatique. J'ai aussi 4 étudiants qui n'ont pas fait leur exposé oral. Je crois que je vais leur demander de le faire par écrit.
Les profs de l'ÉMI vont devoir faire preuve d'une grande imagination pour donner des cours de dessin, de sculpture et de performance à distance.
De retour en cour vendredi prochain. Il semble que la juge ait refusé d'entendre le syndicat des professeurs parce que nous ne sommes pas partie prenante du dossier. Si l'université se voit dans l'obligation de donner des cours, il me semble que les profs devraient alors être considérés comme partie prenante du dossier. Mais visiblement je n'y connais pas grand chose en question de Droit.
Ce que je ne comprends pas non plus, c'est comment on peut respecter le vote de grève démocratique des étudiants. J'envoie un courriel à tous les étudiants du cours en leur demandant s'ils veulent ou non recevoir des instructions et/ou de la matière et, par la suite, j'envoie tout cela à ceux qui le désirent ? Quant aux autres, ils peuvent continuer leur «boycott» à distance. J'emploie les guillements, bien sûr.
Ce que je sais c'est qu'ils étaient plus de 1 000 étudiants à voter pour la reconduction de la grève en assemblée et que tout cela s'est fait dans les règles (voir la lettre de mon collègue Jacques Boucher dans «Le Droit» d'hier). Ce que je sais aussi c'est que le Syndicat des professeurs a adopté une résolution appuyant le mouvement de grève des étudiants. Ce que je sais c'est que je ne sais plus comment respecter ces décisions démocratiques et que je ne sais plus quoi faire pour vivre en adéquation avec mes principes et mes valeurs.
Il n'y aura pas grand monde à l'université cette semaine. Moi, je serai à mon bureau. Parce que je dois travailler à imaginer des cours à distance. Et parce que je dois travailler sur les autres composantes de ma tâche (recherche, administration et services à la collectivité). Et parce que je ne suis pas installé pour travailler à la maison. Et parce que tous mes livres et dossiers sont à l'université.
J'y retourne. Et je remets mon carré rouge.
«En conformité avec l’ordonnance rendue aujourd’hui par la Cour supérieure, la direction de l’UQO informe les membres de sa communauté universitaire de Gatineau qu’au lieu d’offrir ses cours de façon normale, elle prendra les mesures raisonnables requises afin de permettre à ses étudiants de poursuivre leur apprentissage par tout autre moyen que les cours en présence, dont, notamment, par voie électronique, et ce, dans le respect de la liberté académique, de la finalité des programmes et en tenant compte des contraintes logistiques.»
Nous devons donc donner nos cours à distance. J'ai de la difficulté à concevoir ce que je vais faire avec les 2 cours que j'enseigne : «Synthèse en bande dessinée» et «Scénarisation du récit en images». Ce sont des cours-ateliers. À cette étape-ci de la session, ce sont des rencontres individuelles que je devrais faire avec mes étudiants afin de suivre l'évolution de leurs travaux. Je leur demande d'envoyer des croquis par courriel ? C'est parfois déjà assez difficile à lire sur papier. Je leur demande de numériser leurs planches et de me les envoyer ? Pour cela les étudiants devront se rendre à l'université pour utiliser le grand scanner du laboratoire informatique. J'ai aussi 4 étudiants qui n'ont pas fait leur exposé oral. Je crois que je vais leur demander de le faire par écrit.
Les profs de l'ÉMI vont devoir faire preuve d'une grande imagination pour donner des cours de dessin, de sculpture et de performance à distance.
De retour en cour vendredi prochain. Il semble que la juge ait refusé d'entendre le syndicat des professeurs parce que nous ne sommes pas partie prenante du dossier. Si l'université se voit dans l'obligation de donner des cours, il me semble que les profs devraient alors être considérés comme partie prenante du dossier. Mais visiblement je n'y connais pas grand chose en question de Droit.
Ce que je ne comprends pas non plus, c'est comment on peut respecter le vote de grève démocratique des étudiants. J'envoie un courriel à tous les étudiants du cours en leur demandant s'ils veulent ou non recevoir des instructions et/ou de la matière et, par la suite, j'envoie tout cela à ceux qui le désirent ? Quant aux autres, ils peuvent continuer leur «boycott» à distance. J'emploie les guillements, bien sûr.
Ce que je sais c'est qu'ils étaient plus de 1 000 étudiants à voter pour la reconduction de la grève en assemblée et que tout cela s'est fait dans les règles (voir la lettre de mon collègue Jacques Boucher dans «Le Droit» d'hier). Ce que je sais aussi c'est que le Syndicat des professeurs a adopté une résolution appuyant le mouvement de grève des étudiants. Ce que je sais c'est que je ne sais plus comment respecter ces décisions démocratiques et que je ne sais plus quoi faire pour vivre en adéquation avec mes principes et mes valeurs.
Il n'y aura pas grand monde à l'université cette semaine. Moi, je serai à mon bureau. Parce que je dois travailler à imaginer des cours à distance. Et parce que je dois travailler sur les autres composantes de ma tâche (recherche, administration et services à la collectivité). Et parce que je ne suis pas installé pour travailler à la maison. Et parce que tous mes livres et dossiers sont à l'université.
J'y retourne. Et je remets mon carré rouge.
lundi 23 avril 2012
Merci
Le carré rouge qui était sur la porte de mon bureau depuis un mois a été arraché en fin de semaine. Il ne reste que le scotch tape. L'atmosphère est étouffante ici.
Visiblement, j'ai touché beaucoup de monde avec mon dernier billet. C'est réciproque. Vos commentaires, sur le blogue et facebook, m'ont également beaucoup touché. J'ai été très ému à vous lire. Merci. J'aimerais vous écrire personnellement à tous. Ne m'en veuillez pas si je n'y parviens pas. Ce n'est qu'une question de temps.
Bonne journée à tous.
Visiblement, j'ai touché beaucoup de monde avec mon dernier billet. C'est réciproque. Vos commentaires, sur le blogue et facebook, m'ont également beaucoup touché. J'ai été très ému à vous lire. Merci. J'aimerais vous écrire personnellement à tous. Ne m'en veuillez pas si je n'y parviens pas. Ce n'est qu'une question de temps.
Bonne journée à tous.
samedi 21 avril 2012
Ma semaine d'injonction
Nous voilà enfin samedi.
La semaine est terminée. Une autre comme tant d’autres. Mais moi, je ne serai
plus jamais comme avant. J’ai vu et ressenti trop de choses et d’émotions
contradictoires tout au long de ces journées que je me sens épuisé physiquement
et psychologiquement.
J’ai ressenti de la joie
quand j’ai vu les étudiants sortir lundi du pavillon Taché, libres et sans qu’il
y ait eu de la casse. J’ai ressenti de la fierté quand mon université s’est
présentée en cours pour demander la fin de l’injonction. J’ai ressenti de la
colère quand j’ai vu des étudiants blessés. J’ai ressenti du désarroi quand
j’ai vu des collègues se faire arrêter et se faire expulser de l’université.
J’ai ressenti de la tristesse quand j’ai vu des collègues exténués de fatigue
et au bord de la crise de larmes. J’ai vu et vu tant de choses anormales cette
semaine que j’ai l’impression d’avoir du jell-o dans la tête (comme le dirait
Charest avec son sens de l’humour). Et aussi, aussi, j’ai connu la peur.
Un carré rouge
La peur dans ma propre
université où j’enseigne depuis 13 ans. La peur parce que je porte sur mon
manteau un petit carré rouge. Le même que j’ai vu sur des centaines et des
centaines de personnes à Québec la fin de semaine dernière lors du Salon du livre
de Québec et du Festival de bande dessinée de Québec. Un petit carré
qu’arboraient des mères de familles, des travailleurs, des jeunes, des vieux,
des professionnels du livre et de la bande dessinée; des centaines voire des
milliers de carrés rouges aperçus dans l’enceinte du Salon du livre, dans le
vieux-Québec ou dans le quartier St-Roch. Un carré rouge qui semble anodin.
Mais un carré rouge qui
est devenu cette semaine un symbole criminel. Un carré rouge qui témoigne de ma
prise de position contre la hausse des frais de scolarité et de mon appui aux
étudiants en grève pour combattre cet enjeu. Un carré que j’ai retiré de mon
manteau à l’intérieur de mon propre pavillon, en arrivant à mon bureau ce
mercredi. Parce que j’ai eu peur. Parce que ce que j’ai vu dans les yeux des
nombreux gardiens de sécurité que j’ai croisés dans les corridors entre
l’entrée et mon bureau ce fut, soit le mépris, soit la crainte. J’ai clairement
senti qu’un gardien de sécurité semblait tendre ses muscles, prêts à se
défendre si je lui sautais dessus. Parce que j’avais un carré rouge. Parce que
je devais passer devant lui pour me rendre à mon bureau. Parce que j’exprime
une opinion à l’intérieur d’une université. Une université devenue policière.
J’ai connu la peur en
entendant les bottes de l’anti-émeute. J’ai connu la peur en voyant de près des
fusils à gaz lacrymogènes. J’ai eu peur pour moi, mais surtout pour les autres.
Pour mes étudiants qui se retrouvent pris dans cette tourmente parce que le
gouvernement refuse de négocier, parce que des tribunaux forcent des
universités et des cégeps à enseigner malgré les votes des assemblées
étudiantes. Des associations étudiantes qui sont légitimes et qui ont le droit
de grève comme le rappelaient des juristes à Radio-Canada cette semaine:
«Les juristes rappellent que plusieurs des associations visées sont
constituées en vertu de la Loi sur l'accréditation et le financement des
associations d'élèves et d'étudiants, qui a été promulguée en 1983 à la suite
d'une grève étudiante. Le groupe souligne aussi que le droit de grève n'est pas un droit conféré aux seuls travailleurs, et qu'il n'est pas strictement assujetti au Code du travail. Il s'agit cependant d'un droit fondamental reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que le Canada a signé en 1966.»
Une injonction
Moi, j’ai une injonction
qui m’oblige à enseigner. Qui m’oblige à faire comme si tout était normal. Pourtant,
voici les messages que nous recevons de la direction :
«Devant la
manifestation de ces inquiétudes, nous vous offrons, si vous le souhaitez, la possibilité qu’une personne préposée à la
sécurité (pas un policier mais un agent de sécurité dont on peut retenir les
services auprès de firmes spécialisées) soit présente à l’intérieur de votre
salle de classe pendant la durée de votre cours. Cette personne n’aurait aucune
autre fonction que de veiller à la sécurité de toutes les personnes dans la
classe.»
Donner un cours
avec un gardien de sécurité à l’intérieur du cours. Et nous sommes censés faire
comme si tout était normal ? Est-ce facile de transmettre de la matière
dans ces conditions ?
Autre message
reçu jeudi matin alors que je préparais mon cours du jeudi soir :
«Les mesures de sécurité ont été renforcées ce
matin afin d’éviter des débordements à l’intérieur des murs de l’UQO. Toutefois, advenant un mouvement de foule à
l¹intérieur des pavillons du campus de Gatineau, vous devrez vous retirer le
plus rapidement possible dans vos bureaux ou un autre endroit sécuritaire et
fermer la porte à clé pour permettre aux gardiens de sécurité et aux policiers
de gérer la situation. Le cas échéant, il vous est demandé d’attendre les
instructions du Service de Police ou de la direction de l’Université.»
Cela n’aide en rien à créer un climat sain.
Au jour le jour
À part durant les heures de cours, rien ne
m’oblige à me rendre à mon bureau. Je peux travailler de chez moi. Pourtant
j’ai passé la semaine à l’université. Mais pas dans mon bureau. Dehors avec les
étudiants. Je ne suis pas un activiste, je ne suis pas un militant, je ne suis
pas un terroriste. Je suis un professeur qui a pris position contre la hausse
des frais de scolarité et qui a décidé d’appuyer la grève des étudiants par la
suite. Je croyais faire partie d’un débat, d’une discussion. Mais depuis lundi,
je me sens en état de guerre. À chaque matin je me suis installé à mon bureau
pour travailler. Et à chaque matin, je suis sorti pour rejoindre le mouvement à
l’extérieur. Tout cela parce que je veux vivre en accord avec mes principes.
Lundi : parce que des étudiants s’étaient
barricadés à l’intérieur du pavillon Taché. Je suis resté jusqu’à ce qu’ils
sortent. Parce que j’en avais envie. Parce que je voulais que cela se termine
pacifiquement. Parce que j’ai reconnu des étudiants et étudiantes à moi à
l’intérieur. Parce que je sais que ces filles ont 19 et 20 ans. Et que ce ne
sont pas des terroristes. Et quand nous avons appris que l’anti-émeute s’approchait,
la réaction spontanée des profs présents a été d’aller se mettre devant les
portes entre les étudiants et les matraques qui, heureusement sont restées
coites cette journée-là. Pas parce que nous sommes des héros. Parce que nous
avons senti que c’était la seule chose à faire.
Mardi : parce que j’ai appris
l’arrestation d’un de mes collègues. Devant son bureau. Parce qu’il
représentait une menace ? Avec son gabarit j’en doute. Parce qu’il avait
été le porte-parole des profs contre la hausse la veille ? Je n’ai pas la
réponse. On n’a rien pu faire. Ils l’ont emmené au poste. Nous avons attendu
derrière avec les étudiants. On nous a annoncé l’ouverture imminente des
portes. Nous avons attendu. Les portes se sont ouvertes. Mais pas pour ceux qui
portaient des carrés rouges. Nous sommes restés dehors. Nous avons attendu.
Pacifiquement. Nous avons vu une collègue se faire expulser de l’université par
des policiers. Parce qu’elle filmait.
On nous a annoncé que l’administration allait
venir nous parler. Ils sont venus. Ils ont dit : «On vous demande de
quitter les terrains de l’université, sinon vous serez considérés comme des
intrus.» Et nous avons dû quitter, escortés par les policiers. J’étais un
intrus dans ma propre université.
Mercredi : parce que 160 personnes ont été
piégées et capturées sur la Promenade du Lac des Fées. À côté de mon bureau. Parce
que je ne peux rester insensible à cela. Parce que ce sont mes étudiants et mes
étudiantes. Ceux que je connais et ceux que je ne connais pas. Parce que 440$
d’amende, c’est plus que l’augmentation prévue des frais de scolarité. Parce
que deux de mes collègues se sont fait arrêter également. Parce que tout cela
me dégoûte.
Jeudi : Parce que j’ai reçu le message de me
barricader dans mon bureau s’il se passait quelque chose. Parce qu’au lieu de
faire cela, je suis sorti de mon bureau et j’ai rejoint la manifestation. Parce
que j’en ai ras-le-bol. J’ai manifesté dans les rues. Parce c’est légal de
manifester. Je crois. Je me suis retiré lorsque nous sommes arrivés sur les
terrains de l’université. Tout en restant près. Très près. Afin de voir. Afin
de témoigner.
Je ne suis pas masochiste. Je ne fais rien
d’illégal. Je ne fais rien. Rien qu’observer. Observer pour pouvoir témoigner.
Offrir ma solidarité. Regarder. Garder les yeux ouverts malgré l’envie de
vouloir les détourner. Crier avec les étudiants, les professeurs, les
travailleurs, les parents qui sont dans la foule. Crier plus fort pour se faire
entendre. Essayer de ne pas trop trembler. Essayer de garder la tête froide.
Essayer de ne pas trop être perturbé devant mes enfants le soir quand j’essaye
d’avoir une soirée normale en famille après la dose incroyable d’émotions. Être
là. Etre simplement là. Pour les étudiants. Pour mes formidables collègues que
je croise sur la ligne de front. Pour tout le monde.
Je ne suis pas masochiste. Mais je serai là
encore lundi matin à mon bureau. Je vais travailler. Et je vais attendre. Je me sens incapable de faire autrement.
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