Citations

«Il faut toujours faire confiance aux scénaristes qui lisent.» Alessandro Baricco. Une certaine vision du monde.

mardi 6 novembre 2012

Prix Marc-Olivier Lavertu 2012

Il me fait plaisir d'annoncer que le Prix Marc-Olivier Lavertu revient cette année à Iris et Zviane pour le premier tome de L'ostie d'chat publié aux éditions Delcourt.



Les lauréates se méritent une bourse de 250$ offerte par le collectif Plan B.

Elles seront également invitées à venir rencontrer les étudiants et étudiantes lors de la session d'hiver.

Merci à tous les étudiants et étudiantes qui ont participé à ce projet cette année.

Félicitations aux lauréates.

vendredi 17 août 2012

Merci Christiane




En attendant la rentrée, sans trop savoir de quoi elle aura l’air (il semble que si les Cégeps retournent en classe, les universités déjà en grève reconduisent les mandats de grève), je fais le ménage de mon bureau.

J’ai trouvé 2 feuilles de papier coincées entre 2 dossiers. Ce sont des notes que j’avais prises lors de la Journée de la valorisation de l’enseignement à l’UQO en 2010. Des notes de la conférence de Christiane Melançon, ma collègue en traduction et rédaction qui est décédée l’année dernière à l’âge de 52 ans.

C’est idiot comment un vieux papier froissé peut remuer des souvenirs et faire surgir toute une gamme d’émotion.

Lorsque j’ai été engagé en 1999, les professeurs en arts et en lettres se côtoyaient à l’intérieur du département des sciences de l’éducation.  Lors de ces premières années, nous avons tenté de former un département conjoint entre les arts et les lettres. Ce qui n’a pu se faire, notamment en raison des laboratoires et ateliers qui se retrouvaient dans les deux pavillons. Cela aurait été trop coûteux de déménager l’un ou l’autre des secteurs. Les Lettres ont créé leur département en 2002 et nous avons fondé l’ÉMI en 2003.

J’ai souvent côtoyé Christiane par la suite. Elle avait un projet de création d’un programme en littérature et m’en parlait parfois sachant que mes études étaient en études littéraires. Je ne sais pas où en est ce projet aujourd’hui.

Notre amour de la littérature et du livre nous a amenés à nous croiser à plusieurs reprise au Salon du livre de l’Outaouais, au Prix littéraire Jacques-Poirier et sur différents comités et/ou réunions culturelles et/ou universitaires.

Nous étions également directeur et directrice de nos départements respectifs à une certaine époque.

Puis, à l’hiver 2010, elle avait accepté de collaborer avec moi (et avec plusieurs autres partenaires) pour l’organisation d’une conférence sur la littérature haïtienne afin de ramasser des fonds suite au tremblement de terre de janvier 2010. En mars de cette année, Stanley Péan était venu à l’université pour présenter une fort intéressante conférence.

J’étais au Viet Nam en juin 2011 lorsque j’ai appris son décès et je n’ai pas pu assister aux funérailles. Je n’ai donc pu lui dire au revoir. Mais je pense souvent à elle. Je suis heureux d’avoir retrouvé ces notes. Je les partage ici, en vrac.

Merci Christiane.

Les trucs du métier et les erreurs à éviter

Elle avait débuté sa présentation avec une citation de Pierre Bourgault : «Un bon professeur transmet la passion et le doute.»

Ce qu’un professeur doit se dire : Je ne sais pas tout, mais je connais ma matière et surtout, j’ai appris à apprendre.

Se rappeler ce que c’est de ne pas savoir.

Déconstruire la connaissance et la reconstruire pour l’étudiant et avec l’étudiant et non pas seulement devant l’étudiant.

Les erreurs à éviter.

Le manque de préparation, le doute mal placé; la complexité mal à propos.

La distance mal gérée. Trop loin des étudiants : arrogance et mépris. Trop près des étudiants : l’erreur du professeur trop copain.

La négociation.

La réduction des exigences.

Le dénigrement des étudiants, des collègues, de l’université.

Les ambiguïtés dans le discours et le comportement.

L’obstination.

Je me souviens qu’il est ressorti de cette conférence, un grand respect de Christiane envers ses étudiants.

Je complète avec des notes tirées de l’autre feuille qui accompagnait celle de Christiane. Autre erreur à éviter : bien prendre en note les sources et ne pas laisser des feuilles flotter en dehors des dossiers. Je ne parviens pas à me rappeler de l’auteur de la conférence d’où sont tirées ces notes. Mais je les conserve, car je les trouve importantes.

L’attitude du professeur : fierté de ce que l’on sait et humilité de ce que l’on ignore dans le respect de l’autre.

Les étudiants sont ignorants : je sais des choses qu’ils ne savent pas. L’ignorance est un manque de connaissance, pas une maladie. Nous sommes toujours l’ignorant de quelqu’un.

Les étudiants sont savants : ils savent des choses que j’ignore.

Réponse : l’amateur a réponse a tout, tout de suite. Le professionnel commence pas «ça dépend» et va poser une série de questions.


Maintenant que ces notes sont sur ce blogue, je ne peux plus les perdre.

Et j’ai bien hâte de retrouver mes étudiants afin de partager tout cela. Que ce soit en classe ou dans la rue.

Et encore merci Christiane.

jeudi 9 août 2012

M. Charest et le dictionnaire



 Jean Charest vient encore de faire une mise au point au sujet des termes «boycott» et «grève».

On peut-tu /sic/ s’entendre sur une chose: c’est pas une grève. Ça jamais été une grève. Non, c’est pas une grève. C’est parce qu’il faut s’entendre, faut employer les bons mots. Nous ne sommes pas des employeurs des étudiants. Les étudiants ne sont pas nos employés. C’est un boycott. Alors, employons les bons mots, là. C’est un boycott. (Cité par Josée Legault sur son blogue.)

Josée Legault démontre bien que le dictionnaire n’est pas d’accord avec monsieur Charest et qu’il reconnaît le terme «grève étudiante». Mais Charest n’aime pas les définitions du dictionnaire et préfère celles du Code du travail. Ce que l’on observe également parmi certains commentaires au billet de Josée Legault. Parce que le terme «grève» y est défini d’une façon qui lui convient :

«grève»: la cessation concertée de travail par un groupe de salariés.

Les étudiants ne sont pas des salariés, ils ne cessent pas de «travailler» donc ils ne font pas la grève. CQFD.

Pourtant.

Nulle part dans le Code du travail n’est défini le terme «étudiant». Le Code du travail régit les employeurs et les employés. Or, Jean Charest lui-même le dit : «Nous ne sommes pas des employeurs des étudiants. Les étudiants ne sont pas nos employés.» Alors pourquoi utiliser les définitions du Code du travail ? Cette définition n’a de valeur qu’à l’intérieur du Code du travail.

Ce qui encadre les associations et leur droit de grève se retrouve plutôt dans la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants. Or celle-ci indique que :

« 28. L'établissement d'enseignement doit reconnaître l'association ou le regroupement d'associations d'élèves ou d'étudiants accrédité comme le représentant, selon le cas, de tous les élèves ou étudiants ou de toutes les associations d'élèves ou d'étudiants d'un groupe visé à l'article 2.1 ou de l'établissement. »

Or les étudiants et étudiantes, membres de l’AGE-UQO ont voté une Grève générale illimitée. L’Association représente tous les étudiants et étudiantes. Ce n’est pas un boycott, c’est une grève. Et je la respecterai. Quelles qu’en soient les conséquences.

Pas parce que je veux être payé à ne rien faire, L’enseignement ne représente que 25% de ma tâche annuelle.  Les 3 autres composantes de ma tâche (recherche, administration et services à la collectivité) peuvent très bien m’occuper cet automne.

Non, je respecterai la décision des étudiants et étudiantes parce que je crois au mouvement étudiant.

Et parce que je veux être intègre avec moi-même.

Aux étudiants et étudiantes de décider.

lundi 28 mai 2012

Festival de bande dessinée de Québec


Voici le billet que je voulais écrire à mon retour du vingt-cinquième Festival de la bande dessinée de Québec et que je n’ai pas eu le temps d’écrire pour cause d’injonctionnite aigüe.

Comme toujours, ce festival fut très enrichissant. Beaucoup de livres, beaucoup de bandes dessinées, mais surtout, beaucoup de rencontres agréables et stimulantes. Le milieu de la bande dessinée québécoise est rempli de gens intéressants et sympathiques.  Merci et félicitations à toute l’équipe d’organisateurs. J’ai bien hâte au vingt-sixième.

Mais j’étais un peu fatigué à mon retour. Il faut dire que je venais de passer 32 heures en 3 jours dans un kiosque à faire la promotion du programme en bande dessinée de l’université. Merci à Miguel Bouchard et Estelle Bachelard de m’avoir parfois remplacé afin que je puisse me sustenter.

Je suis revenu à minuit le dimanche soir, à temps pour débuter notre première semaine d’injonction à l’université.

Et on remet cela cette fin de semaine. Ce vendredi débute le premier Festival de bande dessinée de Montréal.

Mais, à mon retour de Québec en avril dernier, ma voiture de location m’a fait un petit clin d’œil. J'avais mis le compteur à 0 en quittant Gatineau le jeudi matin. Cette photo a été prise dans mon stationnement à la maison le lundi matin. Après tout, la bande dessinée, c’est le neuvième art ! 


samedi 26 mai 2012

Je prête serment !



 Laurent Proulx, premier injonctionniste de sa majesté la marchandisation du savoir a écrit ceci sur le compte twitter de ma collègue Stéphanie Demers :

«Je ne discute pas avec ceux qui trahissent un serment. Vous êtes un foncrionnaire du mels, votre attitude est innaceptable.» [sic]

Ce message m’interpelle, évidemment. J’aimerais lui signaler que les professeurs d’université n’ont pas à prêter serment. Du moins, moi je ne l’ai jamais fait. Où plutôt, oui. Je prête serment au début de chaque année universitaire. Je prête serment à mes étudiantes et à mes étudiants. Je leur jure de partager mes connaissances, d’ouvrir leurs horizons et, surtout, de développer leur esprit critique.

En ce sens, la session n’a pas été suspendue.  C’est seulement la salle de classe qui a été agrandie et qui occupe maintenant tout le territoire de la province.

Quant à la deuxième partie de la citation de Francis Proulx, non, je ne suis pas un fonctionnaire du MELS (Ministère de l’Éducation, des loisirs et du sport).

Voici une citation tirée du texte de Christian Rioux dans Le Devoir du 25 mai 2012. Elle est extraite du livre de Simon Leys, Le studio de l’inutilité :

«En Angleterre, un fringant ministre de l’Éducation qui était venu rencontrer le corps professoral d’un établissement plus que centenaire commença son discours en saluant les employés de l’université. Un professeur l’interrompt aussitôt : «Excusez-moi, Monsieur le ministre, nous ne sommes pas les employés de l’université, nous sommes l’université«!

 Le débat est plus large que la question des droits de scolarité. C’est la philosophie même du rôle de l’université, des professeurs et des étudiants qui trouve écho dans le bruit des casseroles que l’on entend un peu partout ces derniers jours.

Et pour terminer aujourd’hui sur ma vision de l’université, vision que ne date pas du début de la grève, une citation avec laquelle j’avais inauguré mon blogue en janvier 2010. Elle est tirée du livre d’Aline Giroux, Le pacte faustien de l’université :

«À ceux qui pensent qu’avec une discipline plus stricte les jeunes pourraient acquérir plus de connaissances, Schleiemacher répond que le but des études universitaires n’est pas d’acquérir une masse de connaissances, mais bien d’«éveiller chez les jeunes […] une vie toute nouvelle, un esprit supérieur et scientifique. Or cet éveil suppose, comme condition nécessaire, un climat de pleine liberté d’esprit.»
On peut également lire «Le devoir de philosophie» dans Le Devoir d’aujourd’hui portant sur John Rawls et écrit par le professeur de philosophie de l’Université de Montréal, Michel Seymour.

Bonne fin de session à tous mes étudiantes et étudiants.

mardi 22 mai 2012

Debout !




«Le rôle des étudiants consiste à rechercher la vérité révélée en faisant preuve de dévouement et d’ardeur, mais surtout de soumission. «Nous savons que cela vaut la peine de nous mettre à genoux. À genoux, nous sommes plus forts que debout. À genoux, nous sentons que nous dominons le monde. Quoi de plus désirable pour des jeunes, de plus noble pour des universitaires.»

Cette citation provient du Carabin du 6 décembre 1941. Elle est citée dans l’ouvrage de Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie, page 24.

Aujourd’hui, le mouvement étudiant refuse de se mettre à genoux.

En 1958, ils se sont aussi mis debout. Trois leaders étudiants (deux gars, une fille) sont restés debout à chaque jour pour obtenir une rencontre avec Duplessis, rencontre qui n’eut jamais lieu. 

À la fin des années 1960, les étudiants se sont levés. Si vous trouvez que le mouvement est violent aujourd’hui, voici un texte publié durant ces années : «Étudiants, vous êtes des imbéciles impuissants, cela vous le resterez tant que vous n’aurez pas : cassé la gueule à vos profs; craché sur la famille; foutu le feu au cégep» (Anonyme. Cité par Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie, page 209.)

Les étudiants se sont tenus debout en 1983 et ils ont réussi à faire adopter une loi sur la reconnaissance des associations étudiantes.

J’étais debout en 1990 en tant qu’étudiant. Je l’étais en 2005 en tant que professeur. Et je le suis encore aujourd’hui.

Je crois au mouvement étudiant et me battrai pour défendre leurs droits. Mon carré rouge signifiait, au début, que j’étais contre la hausse des frais de scolarité. Aujourd’hui, il dit que je reconnais la légitimité du mouvement et des associations étudiantes. C’est une force nécessaire.

Quand je suis arrivé à l’Uqo en tant que professeur en 1999, les étudiants en arts n’avaient pas d’association étudiante. J’ai travaillé avec des étudiants afin de constituer cette association. Ce fut long et pénible. C’est complexe. Et il a fallu nous y reprendre à plusieurs fois. L’ironie, c’est que quand cette association (la RÉÉÉMI) a été reconnue, j’étais rendu directeur de l’École. Et leur première action aura été de se mobiliser pour renverser une décision que j’avais prise. Nous nous sommes assis et nous avons trouvé un compromis.

Je ne désobéis pas pour la question de la hausse des frais de scolarité. Je suis toujours contre, bien sûr. J’ai des arguments à ce sujet et j’écoute les arguments contraires. Certains sont intéressants et nous devons en prendre compte. Mais quand je fais la synthèse de tout cela, je demeure convaincu que la meilleure chose pour notre système d’éducation demeure la gratuite scolaire.

Mais étouffer le mouvement étudiant, cela je ne peux le concevoir.

Et je resterai debout !

dimanche 20 mai 2012

Désobéissance civile



De retour après 2 jours au Salon du livre de Notre-Dame-du-Laus sans avoir accès à internet, je prends connaissance de la loi 78. Incrédule, je suis retourné lire l’article 5 de ma convention collective

En voici quelques phrases:

«5.01 L’autonomie universitaire par rapport aux gouvernements, aux corporations et aux autres institutions ou groupe d’intérêt est essentielle à l’accomplissement du rôle de l’Université.

5.03 Tout professeur est libre d'exprimer ses opinions personnelles à l'intérieur ou à l'extérieur de son lieu de travail, sans préjudice aucun aux droits et obligations rattachés à son statut et dans le respect de ses obligations professionnelles envers l'Université.

5.04 La liberté académique est le droit qui garantit l’accomplissement des fonctions professorales.

Elle comprend : (…) C) Le droit d’expression, incluant la critique de la société, des institutions, des doctrines, dogmes et opinions, notamment des règles et politiques universitaires, scientifiques ou gouvernementales.

La liberté académique est un droit fondamental des professeurs d’université parce qu’elle est nécessaire à la réalisation des finalités de l’institution universitaire.»

Je portais mon carré rouge en mars.
Je le porte en mai.
Je le porterai en août.

Désobéissance civile

vendredi 11 mai 2012

Prix Marc-Olivier Lavertu 2012

Les finalistes du Prix Marc-Olivier Lavertu 2012 (pour un album publié en 2011) décerné à un auteur québécois sont les suivants :

Jimmy Beaulieu, Comédie sentimentale pornographique, Delcourt.
Iris/Zviane, L'ostie d'chat, Tome 1, Delcourt.
Christian Quesnel, Cœurs d'argile, Premières lignes.

Ces finalistes ont été choisis par un comité d'étudiants et d'étudiantes en bande dessinée. Le vote se fera à l'automne et tous les étudiants et étudiantes inscrits en bande dessinée ont le droit de vote.

Une bourse de 250$ est offerte par le Plan B.

Le lauréat, ou les lauréates, sera invité à venir rencontrer les étudiants et les étudiantes à l'automne.

Rappelons que ce prix a déjà été remporté par :

Émilie Villeneuve et Julie Rocheleau pour La fille invisible, Glénat (2011);
Michel Rabagliati pour Paul à Québec, La Pastèque (2010);
Louis Rémillard pour Voyage en zone d'exploitation, Les 400 coups (2009);
Delaf et Dubuc pour Sale temps pour les moches, Les Nombrils, Tome 2, Dupuis (2008);
Leif Tande pour Wiliam, Mécanique générale (2007).

Bonne chance à tous.




mardi 8 mai 2012

L’homme sans cervelle



 Deux choses m’ont inspiré ce texte. Ce gag de Mafalda de Quino.

 Et cette phrase attribuée à Winston Churchill (traduite librement par moi) : «Celui qui n’est pas un libéral à 20 ans n’a pas de cœur; celui qui n’est pas conservateur à 40 ans, n’a pas de cerveau.»

J’ai toujours admiré Winston Churchill pour son sens de la répartie. Mais cette phrase, j’ai toujours su que je n’allais jamais y adhérer.

Je vais avoir 43 ans dans quelques jours et je constate que les idéaux et les valeurs que je défendais à 20 ans sont les mêmes qui m’habitent aujourd’hui. Après avoir énormément lu et m’être beaucoup informé ces dernières vingt années, force m’est de constater que les discours des lucides et des tenants du néolibéralisme n’ont jamais réussi à me convaincre de retourner ma veste.

Au contraire, je suis de plus en plus convaincu des iniquités de la société et du devoir de résistance qui en découle.

Si mon désir de justice social, mon envie de défendre les plus démunis, mon besoin de vouloir parler pour les sans-voix veulent dire que je suis sans cervelle, eh bien, je le revendique avec plaisir. À défaut de cervelle, j’ai toujours mon cœur de 20 ans.

Mais avec le cœur, vient une voix.

Se taire n’est pas une option

Maryse Gaudreault, la député de Hull au provincial, l’a dit : «Ce groupe de professeurs [Les profs contre la hausse] ne cherche qu’à politiser le débat et ce n’est pas leur rôle. Ces professeurs sont des employés de l’État, ils n’ont pas à se mêler de tout ça»  (Le Droit, 19 avril 2012, page 6).

Un professeur, partisan de la hausse, me l’a répété : «Nous avons le devoir de rester neutres».

Un autre collègue, chargé de cours dans un autre département, me l’a crié dans les corridors de l’Université «C’est de votre faute si les étudiants sont en grève!  Par vos actions, vous êtes responsables de tout cela». J’ai essayé de discuter, mais face à son ton agressif, j’ai abandonné la conversation. En le quittant, à mon «Bonne journée», il a répliqué : «Bonne journée ! Et enlevez immédiatement votre carré rouge!»

Rester neutre ? Se taire ? Je ne crois pas. En tant qu’intellectuels et professeurs d’université, il est de notre devoir, au contraire, d’intervenir dans l’espace public. Je le fais régulièrement en ce qui concerne la bande dessinée, mon champ de recherche, en collaborant avec les journaux, la radio et la télévision. 

Mais nous sommes également des citoyens et, de par notre position et notre capacité à réfléchir et à analyser, nous nous devons d’apporter notre voix aux débats de société. Comme l’a fait le sociologue Pierre Bourdieu lors des grèves en France en 1995.

Et lorsque ce débat concerne l’université et, surtout, son accessibilité et sa gérance, nous ne pouvons observer tout cela en restant cois. Nous sommes les premiers acteurs dans ce dossier et, à ce titre, nous avons le devoir, au contraire, de faire entendre nos voix.

Se taire ? Jamais !



jeudi 3 mai 2012

Un scénariste déprimé



 On pourrait résumer que le rôle d’un scénariste c’est d’organiser la matière narrative en un tout cohérent et, surtout, de prévoir la fin du récit. S’assurer que tous les éléments qu’il met en scène tendent vers une résolution. Je m’amuse souvent lors de la lecture d’un livre ou du visionnement d’un film à essayer de deviner la fin à partir des éléments qui me sont offerts en cours de récit.

Or, en regardant ce que l’on appelle «le conflit étudiant», il me semble de plus en plus deviner une certaine fin et cela m’inquiète. Il semble bien qu’il y ait un scénariste derrière la stratégie du Parti Libéral et il semble avoir mis la table afin de préparer des élections.

Ce parti va se dire incapable de résoudre le conflit à cause de l’intransigeance des étudiants et va s’en remettre à l’électorat afin que ce soit les électeurs qui décident du bien fondé ou du rejet de la hausse des frais de scolarité.

Or, il pourrait bien remporter les prochaines élections. On parlera moins de corruption et des dossiers qui ont entaché la crédibilité du Parti Libéral ces dernières années et Jean Charest se présentera comme celui ayant tenu tête aux têtes fortes et aux têtes folles estudiantines.

Et une grande partie de la population va le suivre sur ce sentier. Surtout ceux qui ne s’abreuvent qu’à certains médias traditionnels. Surtout qu’il ya en ce moment des nouvelles beaucoup plus importantes, tel l’embauche d’un nouveau directeur général pour le Canadien de Montréal. Un gouvernement libéral réélu aura alors beau jeu de dire qu'il a toujours eu raison dans ce conflit.

Quant aux étudiants, bien qu’ils soient nombreux, ils ne pèseront pas assez lourds dans la balance. Et tous ceux derrière le mouvement ? Les profs contre la hausse ? Les artistes contre la hausse ? Les intellectuels contre la hausse ? Les écrivains contre la hausse ? Une bande de barbus gauchistes qui n’auraient pas, de toute façon, voté pour le Parti Libéral. J’ironise. Alors, la stratégie me semble de plus en plus claire. Il y a vraiment un scénariste derrière tout cela.

Tout cela me déprime ce soir. Le goût amer d’avoir l’impression de faire le jeu du Parti Libéral. J’espère sincèrement me tromper. En attendant, pour me changer les idées, je vais aller écouter un peu de musique. Du Renaud, tiens. «Hexagone». Ça parle d’un certain mois de mai.

«Ils se souviennent au mois de mai
D’un sang qui coula rouge et noir
D’une révolution manquée
Qui faillit renverser l’histoire

Je me souviens surtout de ces moutons
Effrayés par la liberté
S’en allant voter par millions
Pour l’ordre et la sécurité»

Rien à faire. Toujours déprimé.

jeudi 26 avril 2012

Les erreurs de scénario


Comme la Cour supérieure (district de Hull) nous oblige à donner nos cours à distance, je me prête à l’exercice. Voici donc mon cours pour cette semaine.

Comme nous avons étudié la construction du scénario dans la première partie du cours, nous allons maintenant examiner un texte de Michel Chion publié dans son livre Écrire un scénario et intitulé : «Les fautes de scénario (pour mieux les commettre)».

Pour illustrer mon propos, je vais utiliser le scénario «Des négociations pas de classe» écrit par l’étudiante Line Beauchamp sur une idée originale du Parti libéral du Québec. 

Ce texte comprend 16 points. Nous allons les examiner un par un. Cette matière ne sera pas à l’examen lors du retour en classe.

1. À quoi ça se voit? Comment le lecteur comprend-t-il les motivations des personnages ? Ici, c’est très réussi. Le lecteur comprend aisément les motivations du personnage de la ministre par ses gestes. Même si cela peut paraître un peu gros, nul n’est dupe du fait que le personnage de la ministre ne veut pas et n’a jamais voulu négocier.

2. Bateau (sentiment d’avoir été mené en). Ici la faute est grossière. Elle peut aussi se traduire par la phrase suivante : il ne faut pas prendre ses (é)lecteurs pour des valises.

3. Bout-à-bout. «Si le film apparaît comme une collection de scènes sans structure et sans progression, sans lien fort de nature logique ou organique, on a le sentiment d’un bout-à-bout. Un scénario en bout-à-bout contreviendrait donc à deux lois au moins du scénario classique : loi d’unité, loi de progression continue.» Après 12 semaines, on ne sent pas de progression dans les actions du gouvernement. On revient à la case départ. La progression continue, par contre, se sent bien du côté des «méchants étudiants».

4. Coïncidence. Est-ce une coïncidence que des rumeurs d'élections commencent à se faire entendre? Cela pourrait être considéré comme une faute dans l’écriture du scénario.

5. Dénouement (faiblesse de). Malheureusement, la scénariste semble tout faire ici pour éviter qu’il y ait un quelconque dénouement. À retravailler.

6. Déviation. «La déviation, au cours du récit, par rapport à l’idée de départ (…) peut être un défaut. Elle est, la plupart du temps, le résultat involontaire d’une accumulation de détails qui font perdre de vue l’enjeu, le thème principal, et qui peuvent faire prendre à ceux-ci un sens inverse et nouveau.» Effectivement, le thème principal, la hausse des frais de scolarité, semble avoir été perdu en cours de route par le personnage de la ministre. Si cela est involontaire, Il faudrait quand même parvenir à dévier dans l’autre sens.

7. Explicatif (dialogue). Cette faute s’observe lorsque l'on sent que c’est le scénariste et non pas le personnage qui parle. Tous les dialogues du scénario seraient en ce sens à revoir.

8. Faux implants. Le faux implant est l’établissement d’une chose non utilisée. Il serait bien que, si la scénariste implante une table de négociation dans son scénario, qu’elle l’utilise par la suite au lieu de créer un faux suspense.

9. Invraisemblance. «C’est un vieux débat que celui sur le vrai et le vraisemblable, et Boileau le résumait en ces termes : «Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.» J’ai beau observer le débat depuis les débuts, et savoir que tout cela est vrai, il n’empêche que l’on ne peut s’empêcher de croire que tout cela est invraisemblable. Voici la preuve que la réalité ne fait pas toujours un bon scénario.

10.             Jeu de c... (ou intrigue idiote). «Un Idiot plot est une histoire où les personnages doivent se conduire comme des imbéciles pour permettre à l’intrigue de se dérouler.» Je ne m’étendrai pas sur ce point.

11.             Minceur de l’histoire. Si l’histoire est trop mince, le scénariste se sent obligé de remplir son scénario avec des scènes qui ralentissent l’action. Or, ce que le lecteur veut, c’est que l’histoire progresse. Il y a trop de scènes statiques dans ce scénario.

12.             Mollesse, piétinement. «Il y a impression de mollesse, de piétinement si tout est trop statique ; s’il n’y a pas de progression (…)».  Ce point a déjà été abordé.

13.             Personnages (défauts dans l’utilisation des). Michel Chion définit ici 8 cas de défauts dans l’utilisation des personnages. Le premier nous semble éloquent dans le cas qui nous concerne ici : «Le personnage-marionnette, ou porte-voix, transmettant un message ou des mots d’auteurs, plutôt que doué d’une vie propre.» Il faudrait retravailler le personnage de la ministre. Une autre faute souvent commise, mais qui pourrait être habilement utilisée ici est la «conversion subite : le personnage change d’attitude, de croyance, de comportement, sans que cela ait été préparé. » Dans l’état actuel du scénario, cette faute serait la bienvenue.

14.             Qu’est-ce qui les empêche de…Je ne citerai que Michel Chion : «Souvent aussi, on a l’impression que le malentendu entre les héros, qui fournit à l’intrigue son ressort principal, pourrait être facilement levé par un petit effort de sincérité.» Un simple petit effort.

15.             Téléphoné (effet). Honnêtement, l’annulation des négociations semble beaucoup trop téléphonée. Le lecteur s’y attend trop, dès les débuts de l’ouverture des négociations. Le téléphone peut aussi servir à rétablir les ponts entre les personnages.

16.             Trou. Là où on semble s’enfoncer à la lecture du scénario.

Fin du cours pour cette semaine. 

Toutes les citations sont tirées du livre de Michel Chion, Écrire un scénario.

Je m'en retourne vécrire


André et moi devrions nous remettre bientôt au travail pour notre second livre. Si le premier utilisait la Crise d’octobre comme toile de fond, le deuxième tournera un peu autour du Sommet de Montebello de 2007. Un peu seulement parce qu’un des thèmes développés dans ce récit, c’est le refus de l’implication sociale. La question est de savoir si le personnage va réussir à se rendre ou non à Montebello pour manifester.

Quant au troisième, qui devait originalement se dérouler au Chili durant la grève étudiante de 2011, il devrait connaître certaines modifications au niveau du scénario. L’histoire risque fort d’être déplacée au Québec  en avril 2012.  Je n’en sais encore trop rien. Tout cela est trop émotif pour l’instant pour avoir un certain recul avec tout ce qui se passe.

Pour le moment, je continue ma recherche sur le terrain. Comme le disait le narrateur dans Salut Galarneau de Jacques Godbout : «…ou tu vis, ou tu écris. Moi je veux vécrire…». Je m’en retourne vécrire.

mercredi 25 avril 2012

Je sais aussi être égoïste



 Ce que je fais depuis les dernières semaines, je le fais par conviction et par solidarité envers tous les étudiants et étudiantes du Québec en grève. Mais je le fais également par égoïsme.

Je crains sincèrement les impacts d’une hausse des frais de scolarité sur le programme en bande dessinée que j’ai aidé, avec d’autres, à mettre au monde en 1999. Je suis très fier de ce que nous avons réalisé à l’ÉMI avec ce programme. Il y a 10 jours (une éternité me semble-t-il) j’étais au Festival de bande dessinée de Québec. J’en ai retiré une très grande fierté de voir le nombre très élevé de diplômés et diplômées de l’ÉMI qui ont fait leur place ces dernières années dans le milieu. Cela justifie aisément, selon moi, le rôle et la qualité de notre formation.

Mais qu’arrivera-t-il après une hausse aussi drastique des frais de scolarité sur notre capacité à attirer des étudiants et des étudiantes ? Le calcul est simple. Plus les frais sont élevés, plus l’endettement étudiant sera grand. Or, les futurs candidats risquent de choisir des formations universitaires qui vont leur garantir des revenus plus importants une fois leurs études complétées. Il me semble que des formations en bande dessinée, en arts visuels, en philosophie, en études littéraires etc. vont écoper suite à cette décision gouvernementale.

De plus, comme nous sommes la seule université à offrir le programme en bande dessinée, la majorité de nos étudiants et étudiantes proviennent des quatre coins de la province. Souvent, ils doivent s’exiler pour suivre leur formation. Ils ne peuvent habiter chez leurs parents et les frais encourus sont plus grands. C’est ce que j’ai entendu à plusieurs reprises à Québec.

Tout cela j’en ai toujours été convaincu. Et j’en ai eu la confirmation dernièrement. J’ai rencontré un de mes anciens étudiants durant la grève, Marc Michaud. Marc est originaire de l’Alberta et a suivi la première année du programme il y a de cela plusieurs années. Mais il a abandonnée après cette première année. C’était un étudiant plein de potentiel. Ceux qui suivent le programme depuis ses débuts se remémoreront peut-être le fanzine Nom d’un chien qu’il avait créé avec son frère Daniel et Andrée-Julie Tardif. Ce fanzine avait retenu l’attention de différents professionnels du milieu de par ses qualités graphiques et narratives, surtout qu’il était l’œuvre d’étudiants de première année.

Mais Marc a abandonné ses études. Je continue de le voir à l’occasion. Ne pouvant être son professeur, je lui sers de «coach» dans la mesure de mes moyens. J’étais chez lui il y a 2 semaines pour lui remettre une lettre de recommandation pour une demande de bourse. Nous avons discuté de la grève et des frais de scolarité. Probablement que j’avais mon carré rouge sur moi. Il m’a avoué que sa décision d’interrompre ses études émanait de la trop grosse charge financière qui lui était demandée. Marc devait, à l’époque, payer les frais de scolarité albertains. Et qu’à près de 4 000 dollars par année, cela représentait un coût trop grand surtout en regard des possibilités d’emplois à la sortie de l’université. Aujourd’hui, maintenant qu’il habite au Québec, il pourrait revenir à l’université. Mais avec une famille, cela complique les choses. Et la hausse prévue va nous rapprocher dangereusement des frais demandés en Alberta.

Marc continue de faire de la bande dessinée. Ça ne prend pas obligatoirement un diplôme pour en faire. Mais j’ose espérer que la hausse des frais de scolarité ne nous fera pas perdre trop d’étudiants et d’étudiantes comme Marc qui désirent faire de la bande dessinée et suivre une formation universitaire de qualité.

Je continuerai à me battre parce que l’éducation c’est un droit et non un privilège. Je continuerai à me battre pour moi. Pour mes étudiants et étudiantes en bande dessinée. Pour tous les étudiants et étudiantes. 

mardi 24 avril 2012

L'injonction est prolongée jusqu'à vendredi

L'injonction est donc maintenue. Mais de façon différente. Exit les conditions normales d'enseignement. Maintenant :


«En conformité avec l’ordonnance rendue aujourd’hui par la Cour supérieure, la direction de l’UQO informe les membres de sa communauté universitaire de Gatineau qu’au lieu d’offrir ses cours de façon normale, elle prendra les mesures raisonnables requises afin de permettre à ses étudiants de poursuivre leur apprentissage par tout autre moyen que les cours en présence, dont, notamment, par voie électronique, et ce, dans le respect de la liberté académique, de la finalité des programmes et en tenant compte des contraintes logistiques.»


Nous devons donc donner nos cours à distance. J'ai de la difficulté à concevoir ce que je vais faire avec les 2 cours que j'enseigne : «Synthèse en bande dessinée» et «Scénarisation du récit en images». Ce sont des cours-ateliers. À cette étape-ci de la session, ce sont des rencontres individuelles que je devrais faire avec mes étudiants afin de suivre l'évolution de leurs travaux. Je leur demande d'envoyer des croquis par courriel ? C'est parfois déjà assez difficile à lire sur papier. Je leur demande de numériser leurs planches et de me les envoyer ? Pour cela les étudiants devront se rendre à l'université pour utiliser le grand scanner du laboratoire informatique. J'ai aussi 4 étudiants qui n'ont pas fait leur exposé oral. Je crois que je vais leur demander de le faire par écrit.


Les profs de l'ÉMI vont devoir faire preuve d'une grande imagination pour donner des cours de dessin, de sculpture et de performance à distance.  


De retour en cour vendredi prochain. Il semble que la juge ait refusé d'entendre le syndicat des professeurs parce que nous ne sommes pas partie prenante du dossier. Si l'université se voit dans l'obligation de donner des cours, il me semble que les profs devraient alors être considérés comme partie prenante du dossier. Mais visiblement je n'y connais pas grand chose en question de Droit. 


Ce que je ne comprends pas non plus, c'est comment on peut respecter le vote de grève démocratique des étudiants. J'envoie un courriel à tous les étudiants du cours en leur demandant s'ils veulent ou non recevoir des instructions et/ou de la matière et, par la suite, j'envoie tout cela à ceux qui le désirent ? Quant aux autres, ils peuvent continuer leur «boycott» à distance. J'emploie les guillements, bien sûr.


Ce que je sais c'est qu'ils étaient plus de 1 000 étudiants à voter pour la reconduction de la grève en assemblée et que tout cela s'est fait dans les règles (voir la lettre de mon collègue Jacques Boucher dans «Le Droit» d'hier). Ce que je sais aussi c'est que le Syndicat des professeurs a adopté une résolution appuyant le mouvement de grève des étudiants. Ce que je sais c'est que je ne sais plus comment respecter ces décisions démocratiques et que je ne sais plus quoi faire pour vivre en adéquation avec mes principes et mes valeurs.


Il n'y aura pas grand monde à l'université cette semaine. Moi, je serai à mon bureau. Parce que je dois travailler à imaginer des cours à distance. Et parce que je dois travailler sur les autres composantes de ma tâche (recherche, administration et services à la collectivité). Et parce que je ne suis pas installé pour travailler à la maison. Et parce que tous mes livres et dossiers sont à l'université. 


J'y retourne. Et je remets mon carré rouge.




lundi 23 avril 2012

Merci

Le carré rouge qui était sur la porte de mon bureau depuis un mois a été arraché en fin de semaine. Il ne reste que le scotch tape. L'atmosphère est étouffante ici.

Visiblement, j'ai touché beaucoup de monde avec mon dernier billet. C'est réciproque. Vos commentaires, sur le blogue et facebook, m'ont également beaucoup touché. J'ai été très ému à vous lire. Merci. J'aimerais vous écrire personnellement à tous. Ne m'en veuillez pas si je n'y parviens pas. Ce n'est qu'une question de temps.

Bonne journée à tous.

samedi 21 avril 2012

Ma semaine d'injonction



Nous voilà enfin samedi. La semaine est terminée. Une autre comme tant d’autres. Mais moi, je ne serai plus jamais comme avant. J’ai vu et ressenti trop de choses et d’émotions contradictoires tout au long de ces journées que je me sens épuisé physiquement et psychologiquement.

J’ai ressenti de la joie quand j’ai vu les étudiants sortir lundi du pavillon Taché, libres et sans qu’il y ait eu de la casse. J’ai ressenti de la fierté quand mon université s’est présentée en cours pour demander la fin de l’injonction. J’ai ressenti de la colère quand j’ai vu des étudiants blessés. J’ai ressenti du désarroi quand j’ai vu des collègues se faire arrêter et se faire expulser de l’université. J’ai ressenti de la tristesse quand j’ai vu des collègues exténués de fatigue et au bord de la crise de larmes. J’ai vu et vu tant de choses anormales cette semaine que j’ai l’impression d’avoir du jell-o dans la tête (comme le dirait Charest avec son sens de l’humour). Et aussi, aussi, j’ai connu la peur.

Un carré rouge
La peur dans ma propre université où j’enseigne depuis 13 ans. La peur parce que je porte sur mon manteau un petit carré rouge. Le même que j’ai vu sur des centaines et des centaines de personnes à Québec la fin de semaine dernière lors du Salon du livre de Québec et du Festival de bande dessinée de Québec. Un petit carré qu’arboraient des mères de familles, des travailleurs, des jeunes, des vieux, des professionnels du livre et de la bande dessinée; des centaines voire des milliers de carrés rouges aperçus dans l’enceinte du Salon du livre, dans le vieux-Québec ou dans le quartier St-Roch. Un carré rouge qui semble anodin.

Mais un carré rouge qui est devenu cette semaine un symbole criminel. Un carré rouge qui témoigne de ma prise de position contre la hausse des frais de scolarité et de mon appui aux étudiants en grève pour combattre cet enjeu. Un carré que j’ai retiré de mon manteau à l’intérieur de mon propre pavillon, en arrivant à mon bureau ce mercredi. Parce que j’ai eu peur. Parce que ce que j’ai vu dans les yeux des nombreux gardiens de sécurité que j’ai croisés dans les corridors entre l’entrée et mon bureau ce fut, soit le mépris, soit la crainte. J’ai clairement senti qu’un gardien de sécurité semblait tendre ses muscles, prêts à se défendre si je lui sautais dessus. Parce que j’avais un carré rouge. Parce que je devais passer devant lui pour me rendre à mon bureau. Parce que j’exprime une opinion à l’intérieur d’une université. Une université devenue policière.

J’ai connu la peur en entendant les bottes de l’anti-émeute. J’ai connu la peur en voyant de près des fusils à gaz lacrymogènes. J’ai eu peur pour moi, mais surtout pour les autres. Pour mes étudiants qui se retrouvent pris dans cette tourmente parce que le gouvernement refuse de négocier, parce que des tribunaux forcent des universités et des cégeps à enseigner malgré les votes des assemblées étudiantes. Des associations étudiantes qui sont légitimes et qui ont le droit de grève comme le rappelaient des juristes à Radio-Canada cette semaine:

Une injonction

Moi, j’ai une injonction qui m’oblige à enseigner. Qui m’oblige à faire comme si tout était normal. Pourtant, voici les messages que nous recevons de la direction :
«Devant la manifestation de ces inquiétudes, nous vous offrons, si vous le souhaitez, la possibilité qu’une personne préposée à la sécurité (pas un policier mais un agent de sécurité dont on peut retenir les services auprès de firmes spécialisées) soit présente à l’intérieur de votre salle de classe pendant la durée de votre cours. Cette personne n’aurait aucune autre fonction que de veiller à la sécurité de toutes les personnes dans la classe.»
Donner un cours avec un gardien de sécurité à l’intérieur du cours. Et nous sommes censés faire comme si tout était normal ? Est-ce facile de transmettre de la matière dans ces conditions ?

Autre message reçu jeudi matin alors que je préparais mon cours du jeudi soir :

«Les mesures de sécurité ont été renforcées ce matin afin d’éviter des débordements à l’intérieur des murs de l’UQO. Toutefois, advenant un mouvement de foule à l¹intérieur des pavillons du campus de Gatineau, vous devrez vous retirer le plus rapidement possible dans vos bureaux ou un autre endroit sécuritaire et fermer la porte à clé pour permettre aux gardiens de sécurité et aux policiers de gérer la situation. Le cas échéant, il vous est demandé d’attendre les instructions du Service de Police ou de la direction de l’Université.»

Cela n’aide en rien à créer un climat sain.

Au jour le jour
À part durant les heures de cours, rien ne m’oblige à me rendre à mon bureau. Je peux travailler de chez moi. Pourtant j’ai passé la semaine à l’université. Mais pas dans mon bureau. Dehors avec les étudiants. Je ne suis pas un activiste, je ne suis pas un militant, je ne suis pas un terroriste. Je suis un professeur qui a pris position contre la hausse des frais de scolarité et qui a décidé d’appuyer la grève des étudiants par la suite. Je croyais faire partie d’un débat, d’une discussion. Mais depuis lundi, je me sens en état de guerre. À chaque matin je me suis installé à mon bureau pour travailler. Et à chaque matin, je suis sorti pour rejoindre le mouvement à l’extérieur. Tout cela parce que je veux vivre en accord avec mes principes.

Lundi : parce que des étudiants s’étaient barricadés à l’intérieur du pavillon Taché. Je suis resté jusqu’à ce qu’ils sortent. Parce que j’en avais envie. Parce que je voulais que cela se termine pacifiquement. Parce que j’ai reconnu des étudiants et étudiantes à moi à l’intérieur. Parce que je sais que ces filles ont 19 et 20 ans. Et que ce ne sont pas des terroristes. Et quand nous avons appris que l’anti-émeute s’approchait, la réaction spontanée des profs présents a été d’aller se mettre devant les portes entre les étudiants et les matraques qui, heureusement sont restées coites cette journée-là. Pas parce que nous sommes des héros. Parce que nous avons senti que c’était la seule chose à faire.

Mardi : parce que j’ai appris l’arrestation d’un de mes collègues. Devant son bureau. Parce qu’il représentait une menace ? Avec son gabarit j’en doute. Parce qu’il avait été le porte-parole des profs contre la hausse la veille ? Je n’ai pas la réponse. On n’a rien pu faire. Ils l’ont emmené au poste. Nous avons attendu derrière avec les étudiants. On nous a annoncé l’ouverture imminente des portes. Nous avons attendu. Les portes se sont ouvertes. Mais pas pour ceux qui portaient des carrés rouges. Nous sommes restés dehors. Nous avons attendu. Pacifiquement. Nous avons vu une collègue se faire expulser de l’université par des policiers. Parce qu’elle filmait.

On nous a annoncé que l’administration allait venir nous parler. Ils sont venus. Ils ont dit : «On vous demande de quitter les terrains de l’université, sinon vous serez considérés comme des intrus.» Et nous avons dû quitter, escortés par les policiers. J’étais un intrus dans ma propre université.

Mercredi : parce que 160 personnes ont été piégées et capturées sur la Promenade du Lac des Fées. À côté de mon bureau. Parce que je ne peux rester insensible à cela. Parce que ce sont mes étudiants et mes étudiantes. Ceux que je connais et ceux que je ne connais pas. Parce que 440$ d’amende, c’est plus que l’augmentation prévue des frais de scolarité. Parce que deux de mes collègues se sont fait arrêter également. Parce que tout cela me dégoûte.

Jeudi : Parce que j’ai reçu le message de me barricader dans mon bureau s’il se passait quelque chose. Parce qu’au lieu de faire cela, je suis sorti de mon bureau et j’ai rejoint la manifestation. Parce que j’en ai ras-le-bol. J’ai manifesté dans les rues. Parce c’est légal de manifester. Je crois. Je me suis retiré lorsque nous sommes arrivés sur les terrains de l’université. Tout en restant près. Très près. Afin de voir. Afin de témoigner.

Je ne suis pas masochiste. Je ne fais rien d’illégal. Je ne fais rien. Rien qu’observer. Observer pour pouvoir témoigner. Offrir ma solidarité. Regarder. Garder les yeux ouverts malgré l’envie de vouloir les détourner. Crier avec les étudiants, les professeurs, les travailleurs, les parents qui sont dans la foule. Crier plus fort pour se faire entendre. Essayer de ne pas trop trembler. Essayer de garder la tête froide. Essayer de ne pas trop être perturbé devant mes enfants le soir quand j’essaye d’avoir une soirée normale en famille après la dose incroyable d’émotions. Être là. Etre simplement là. Pour les étudiants. Pour mes formidables collègues que je croise sur la ligne de front. Pour tout le monde.

Je ne suis pas masochiste. Mais je serai là encore lundi matin à mon bureau. Je vais travailler. Et je vais attendre. Je me sens incapable de faire autrement.